Rue Monrose, 62 : la chambre l’enfant le train
Installation immersive
2023
La démarche de Paul Gérard vise à politiser l’intime, à montrer l’importance du politique sur les vécus. En inscrivant des faits réels dans un cadre fictif, il cherche à défaire et refaire les récits qui traversent son histoire familiale.
Dans cette installation, la fouille du réel prend une forme nouvelle pour l’artiste. Jusqu’à présent, celui-ci travaillait la restitution et transmission de témoignages. Désormais, il interroge un autre type de récit, fondé moins sur des mots que sur des sons ou des images. Qu’est ce qui précède, entoure ou dépasse le mot ? Comment peut-on faire mot autrement ? Rue Monrose, 62 : La Chambre L’enfant Le train pose la question des possibles moyens mis en œuvre par un·e enfant pour canaliser des images qu’iel reçoit.
Pour ce faire, Paul se met ici dans la peau de l’enfant, de celui qui emploie une onomatopée, un “boum” pour se référer à, incarner ou transmettre ce qu’est une explosion. Cette incarnation a lieu dans le processus de création lui-même puisque, comme pour l’enfant, la mise à distance de ces images se fait par le jeu. L’artiste emprunte les vieux jouets (kaplas, voitures, figurines) qui se trouvaient dans un placard de la Rue Monrose lorsqu’il avait entre six et dix ans. Il emploie la même manière de jouer avec ces objets par la création d’une ville imaginaire et d’un parcours de train. La chambre est alors un lieu de refuge où se déploie l’imagination. L’adulte cherche ce qu’il reste d’enfant en lui. Le train et ses passagers se déplacent constamment mais sur un même circuit.
L’enquête (habituellement historique ou journalistique) devient une quête, encore plus autobiographique. La posture est moins celle du chercheur (qui pose un regard extérieur sur l’objet) que celle d’un patient-thérapeute (qui fait retour sur soi). Dans ses créations précédentes, le public était plongé dans un passé réactualisé. Certain·e·s des spectateur·ice·s avaient interrogé l’artiste sur les héritages ou traces laissées sur son propre inconscient. Cette question d’une transmission transgénérationelle a alors ouvert la porte à une réflexion personnelle. En cherchant ici moins à dévoiler ou révéler ce qui a été enfoui, l’artiste creuse des souterrains internes de la psyché et reconstitue des possibles chemins mentaux. Le public est encouragé à entrer en soi en prenant du recul, à revenir au présent de l’enfance. Autrement dit, l’installation est une invitation à un temps d’introspection, guidé lui-même par la rétrospection.
Crédits : Luk Vander Plaeste ©
L’immersion du public
suit un double mouvement paradoxal : nous pénétrons dans le lieu de
l’enfance mais cette plongée s’accompagne d’une mise à distance, liée à une
mise en fiction. En entrant, nous découvrons une sorte de terrain de jeu. Au
sol, le parcours du train délimite une zone, à la fois concrète et abstraite.
Entre répétition rassurante et ouverture vers le monde imaginaire, le train –
seul objet physique du lieu – permet la rêverie. Il circule, pourtant,
bruyamment sur des dessins du plan de la ville. L’artiste, par la suggestion,
fait appel à notre esprit d’invention pour une re-construction mentale du lieu
urbain. Il fait aussi appel à nos sens lorsque nous passons du béton froid à
une douce moquette. L’assemblage de tapis est alors une invitation à enlever
ses chaussures, s’asseoir ou s’allonger ; à se mettre dans une nouvelle
(dis)position.
L’installation immersive est à la fois visuelle et sonore. Sur deux écrans qui se font face, nous empruntons tantôt le point de vue du train tantôt celui du passager. Le départ de gare a lieu simultanément, le trajet est le même mais la différence de perspective permet de renouveler la question de la perception chez un·e enfant. Où se situe-t-iel ? À quelles images (y compris abstraites) est-iel soumis·e·s ? L’une des vidéos enregistre, par la fenêtre d’un wagon, l’évolution d’un décor. Accompagnée d’une trame sonore, la création musicale agit comme une caisse de résonnance des émotions (qui reçoit et amplifie les vibrations). À la désolation répond une énergie vitale, à la destruction de la ville moderne, supposément tournée vers l’avenir, et donc à la désillusion suit un véritable espoir de reconstruction. Comment l’enfant parvient-iel alors à catalyser ces images ? Que représente alors la chambre, ce lieu à l’écart ? L’autre vidéo explicite la tension entre enfermement et refuge. Par une mise en abîme, le plan d’ensemble comprend une projection de ce qui est vu par le train en mouvement, projection faite sur une porte fermée, dans le décor d’une chambre. On se trouve alors comme devant une scène de théâtre où serait projeté une vidéo au second plan. L’artiste propose ainsi un parcours multiple au sein de la ville et dans un temps à part.