Les Tchafetes de Vivegnis
Installation immersive
2025
Le site des ateliers RAVI (Résidence Ateliers International Vivegnis, où Paul Gérard était en résidence de janvier à mars 2025) est devenu le prétexte d’une recherche sur les lieux de socialisation homosexuels dans les années 1960 à Liège. L’artiste s’est inspiré de son projet Impasse de la Fidélité qui raconte l’histoire de son grand-père homosexuel, contraint de vivre dans la clandestinité, et probablement assassiné pour cette raison ; un secret de famille que lui a confié sa grand-mère à l’occasion de son propre coming out.
Le dispositif imaginé par l’artiste force à la rétrospection : il reconstitue la vie des habitués des bars clandestins tels qu’il pouvait en exister dans le quartier. Paul Gérard redéfinit le rapport entre la réalité de faits dont attestent les archives qu’il consulte – ayant trait aux lieux de rendez-vous clandestins entre homosexuels, et la fiction – qui vient combler les lacunes de celles-ci peuvent comporter. Certains dialogues s’inspirent de témoignages qui proviennent de la revue Treize. À la lecture de celle-ci, l’artiste a découvert l’existence, à Liège, dans les années 1970, d’un groupe de parole pour hommes homosexuels appelé le MASH (Mouvement d’Action et de Solidarité des Homophiles) – l’équivalent du CCL (Centre de Culture et de Loisirs), premier groupe militant homosexuel bruxellois. Le principe était le suivant : discuter de sa sexualité, alors marginalisée, tout en cherchant à la légitimer et à la normaliser.
Par ce dispositif, Paul Gérard nous plonge dans les strates de la mémoire et restitue des faits enfouis ; des non-dits tabous passés sous silence. Il a ici choisi d’évoquer le climat de tensions entre homosexuels et lesbiennes – les « tchafètes » –, installées au comptoir à l’extrémité de la pièce. Leur présence, critiquée dans les dialogues des vidéos, apparaît comme un élément récurrent de tension dans le milieu, car ils risquent d'ébruiter l'existence même du lieu, menant à une possible fermeture du bar et à l’arrestation de ses habitués. Paul Gérard a souhaité mettre en évidence ces anecdotes (trop) longtemps reléguées aux oubliettes de la grande Histoire. Le recours à la fiction permet une mise à distance qui universalise l’intimité des récits tout en donnant aux vécus une résonance éminemment politique. Politiser l’intime, en quelque sorte. Les vidéos et le scénario deviennent autant d’étapes d’un cheminement artistique qui place l’intimité du vécu des personnages au cœur du processus. Les tabourets et les tables-écrans engagent le corps du spectateur dans un espace de stabulation qui le plonge dans l’histoire racontée. De ces témoignages, Paul Gérard conserve l’essence : il cherche à aller au-delà des mots pour les transformer en une double narration, à la fois visuelle et spatiale, sur le mode de l’enquête – et de la quête. Le dispositif devient le prétexte d’une réalité arrangée, sans jamais faire l’impasse de la fidélité.
Texte : Camille Hoffsummer
Images : Anna Safiatou Touré et Paul Gérard







